Le théâtre de l’absurde demeure presque inconnu au Vietnam. Cependant, le réalisateur Tran Luc a décidé de monter la pièce « La Cantatrice chauve » – l’une des œuvres du théâtre de l’absurde les plus connues du dramaturge et écrivain français Eugène Ionesco.
« Beaucoup me disent que je suis téméraire mais je ne le pense pas. La témérité correspond à des actions plutôt aveugles, alors que je suis assez lucide. J’ai bien réfléchi et j’ai eu des préparatifs dans toutes les étapes, de la préparation professionnelle à la logistique comme la vente des billets… Les artistes doivent vivre aussi. De plus, je considère les recettes comme l’un des facteurs pour évaluer la pièce », a-t-il partagé.
« Beaucoup me disent que je suis téméraire mais je ne le pense pas! »
Une aventure enthousiasmante
– Si ce n’est pas la témérité, quelle est donc votre motivation pour monter la pièce « La Cantatriche chauve » ?
Tran Luc : Je pense que c’est la confiance en soi et le courage. En outre, je suis un peu impatient en attente des réactions des spectateurs.
De nombreuses pièces de théâtre de l’absurde ont vu leurs scénarios être traduits en vietnamien, mais elles n’ont pas été mises en scène. C’est pourquoi le théâtre de l’absurde demeure mal connu au Vietnam. Plusieurs personnes semblent réservées sur ce style qui se caractérise par l’absence d’histoire, le manque total de continuité dans les actions, de la cohérence à l’intrigue et de la logique.
Personnellement, je pense que sous l’angle des valeurs fondamentales, le théâtre de l’absurde n’a pas de grandes différences par rapport à d’autres styles car tous tournent autour de l’homme et décrivent la vie humaine…

Par exemple, pour le cas de « La Cantatrice chauve », la pièce n’a pas de l’intrigue. Eugène Ionesco a écrit des dialogues avec des propos incohérents, banaux, contradictoires et dépourvus de sens, afin de railler les compétences linguistiques de certaines personnes, la répétition ennuyeuse de la routine et la distance entre les membres de la famille. De plus, à travers les détails absurdes, l’auteur voulait parler du destin de l’homme…
Les dialogues sont incohérents, les personnages racontent des histoires dépourvues de sens et de logique. Chacun une phrase et il laisse les autres comprendre à leur façon !
« Je recours aux langagues et aux images conventionnelles du théâtre traditionnel de l’Orient pour monter une pièce du théâtre de l’absurde de l’Occident. »
– Vous dites que vous vous occupez même de la vente des billets et des recettes. Est-ce que cela affecte votre caractéristique d’artiste et la qualité de la pièce ?
Tran Luc : Je ne pense pas qu’il s’agisse du pragmatisme, mais c’est la réalité. Il n’y a pas question d’investir sans penser au rendement. De plus, je considère les recettes comme l’un des facteurs pour évaluer le succès de la pièce. Le nombre de billets vendus m’aidera à répondre à des questions comme : La pièce est-elle reconnue du public ? Sa qualité est suffisamment attractive pour qu’une personne achète un billet ? …
Si l’on veut attirer les spectateurs, on doit avoir des pièces intéressantes. Plusieurs gens disent que les spectateurs tournent le dos au théâtre mais les artistes doivent se revoir. Il est évident que les pièces montées selon les styles des années 1960 et 1970 ont du mal à attirer des spectateurs ».

Après des pièces montées selon de nouveaux styles comme « La Jalousie du Barbouillé » de Molière, j’ai trouvé que les spectateurs s’étaient montrés enthousiastes bien que les scénarios soient pas nouveaux.
Cela ne signifie pas que je ne m’intéresse qu’aux ventes des billets. L’art me semble une aventure et dans ce cas, il faut la liberté et l’enthousiasme pour assurer la qualité des œuvres. Si l’artiste possède des œuvres intéressantes, il n’aura pas peur que les spectateurs l’oublient ou l’abandonnent.
« Si l’artiste possède des œuvres intéressantes, il n’aura pas peur que les spectateurs l’oublient ou l’abandonnent. »
– Alors, comment vous débrouillez-vous avec « La Cantatrice chauve » ?
Tran Luc : Je recours aux langages et aux images conventionnelles du théâtre traditionnel de l’Orient pour cette pièce occidentale. Les pièces selon ce style comprennent trois éléments : une simple histoire ; de simples décoration et accessoires ; des artistes avec de bonnes capacités de communiquer et d’interagir. Les acteurs doivent jouer avec une grande diversité d’expressions faciales, en libérant leurs corps et contrôler eux-mêmes les déplacements dans chaque acte pour susciter l’imagination des spectateurs et les intégrer dans le courant de l’histoire. Une grande importance est attribuée à l’interaction entre les acteurs et les spectateurs, ainsi qu’à la « plongée » des spectateurs dans l’histoire pour éviter un public passif.

Sujets d’actualité de la société vietnamienne
– Le théâtre de l’absurde demeure étranger aux spectateurs vietnamiens. Est-ce qu’il a fallu « vietnamiser » le scénario de « La Cantatrice chauve » pour la rendre plus compréhensible aux Vietnamiens ?
Tran Luc : Normalement, pour les scénarios étrangers, les réalisateurs doivent y ajouter des détails ou changer quelques situations pour faciliter l’accès des spectateurs vietnamiens. Mais j’ai trouvé qu’il n’était pas nécessaire de vietnamiser « La Cantatriche chauve » en lisant son scénario.
« Les jeunes acteurs n’ont pas beaucoup d’expériences mais leur naïveté, leur fraîcheur et leur enthousiasme ne sont pas les moindres. »
Les écarts, les régressions mentales, l’ennui dans la vie…, sont tous des problèmes qui peuvent arriver à l’être humain où qu’il soit, bien que l’histoire de la pièce se déroule dans une famille au Royaume-Uni. Les grands artistes, ce sont ceux qui peuvent écrire des histoires universelles et humaines comme « La Cantatriche chauve ». Cette pièce et plusieurs autres d’Eugène Inonesco comme « La Leçon », « Les Chaises » et « Victimes du devoir » sont des pièces de culte du théâtre occidental contemporain.
– Qu’est-ce qui fait donc la différence entre votre version de « La Cantatriche chauve » et celles d’autres réalisateurs ?

Tran Luc : Il est certain que je ne garde pas le scénario original intact. J’ai introduit quelques phrases pour étonner les spectateurs, comme par exemple : « Il sait à la fois jouer du piano et agiter le +mam tom+ (salaison de crevettes) ».
Mais je pense que ma plus grande empreinte est l’utilisation des langages et des images conventionnelles du théâtre traditionnel de l’Orient pour monter une pièce du théâtre de l’absurde de l’Occident.
En outre, avant le baisser de rideau, nous avons un dialogue entre quatre personnages principaux qui parlent des histoires et des sujets d’actualité de la société vietnamienne tels que les « faux diplômes », la violence en milieu scolaire, des téléfilms préférés et des footballeurs favoris des Vietnamiens…
Ce dialogue n’est pas trop long, soit l’équivalent de deux feuilles de page format A4. Les personnages continuent de parler mais chacun à sa façon, sans s’intéresser aux autres.
– Je trouve que vous être assez audacieux en montant « La Cantatriche chauve » avec de jeunes acteurs. Les acteurs déjà connus ne sont-ils pas une condition favorable au succès d’une pièce ?
Tran Luc : Tous les huit acteurs participant à cette pièce sont parmi mes étudiants. La moitié d’entre eux viennent d’être diplômés, les autres sont des étudiants de la 3e ou 4e année à l’Académie du Théâtre et du Cinéma de Hanoï.
Il est vrai que les jeunes acteurs n’ont pas d’expériences mais leur naïveté, leur fraîcheur et leur enthousiasme ne sont pas les moindres. S’ils n’ont pas d’opportunités, ils ne pourront pas grandir.
J’ai déjà dit mon opinion et je la garde toujours : il faut des pratiques dans l’art du jeu d’acteur. LucTeam est une troupe des professeur et étudiants. Je suis professeur qui travaille avec mes étudiants, de jeunes artistes. Nous avons formé cette troupe car nous avons une même volonté et une même aspiration à conquérir les nouveaux monts de l’art du théâtre. La naïveté et la fraîcheur sont des éléments qui font la différence de nos œuvres.
« La Cantatriche chauve » est présentée au public à l’Institut français de Hanoï-L’Espace au 24 rue Trang Tien, à partir de mi-janvier. Elle sera envoyée au 4e Festival international de théâtre expérimental de Hanoï.
– Je vous remercie !
